Afrique : « L’agriculture, le plus grand business du continent » (Adesina, pdt de la BAD)

Afrique : « L’agriculture, le plus grand business du continent » (Adesina, pdt de la BAD)
Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement. (Ph : Dr)

Chaque samedi, Jeune Afrique invite une personnalité à décrypter des sujets d’actualité. Climat, résilience, agriculture et financements, le président de la Bad, Banque africaine de développement, livre son regard sur les dernières actualités du continent. La tournée dans la « Vieille Europe » du président de la Bad a largement donné le ton de son second mandat. « Être partout là où la cause de l’Afrique doit être plaidée », explique Akinwumi Adesina, de retour de la COP26, Conférence internationale sur les changements climatiques, de Glasgow. Lui qui était arrivé à Rome début octobre déjà, où il a délivré une « keynote » au Sénat italien devant les représentants des pays du G20. Descendu dans le même hôtel parisien que la vice-présidente américaine, Kamala Harris, avec laquelle il doit se rendre le soir même à une réception à l’Élysée, à l’invitation du président français, il prépare son intervention du lendemain pour le Forum de Paris sur la paix. Entre deux rendez-vous, et la signature d’un accord avec son homologue de l’Agence française de développement (AFD), Rémy Rioux, l’ancien ministre nigérian de l’Agriculture (2011-2015) expose à Jeune Afrique les préoccupations de l’institution qu’il dirige et sa vision des sujets chauds du moment pour l’Afrique.

 

Après avoir passé dix jours à Glasgow, assisté à nombre de rencontres lors de la COP et réunions bilatérales avec les dirigeants africains, considérez-vous que cette édition a rempli sa mission ?

Ce qui est sûr, c’est que je ne regarde pas les choses comme un échec. Nous parlons d’une situation compliquée. Je pense qu’à Glasgow, il y a eu une prise de conscience que les pays africains, les pays en développement et les nations insulaires subissent un impact massif des changements climatiques, et que c’est à eux qu’il faut donner la priorité. Et c’est une bonne nouvelle.

L’Afrique, fortement exposée aux phénomènes de sécheresse, fortes chaleurs et d’inondations, perd aujourd’hui entre 7 et 15 milliards de dollars par an [selon les données des Nations unies] à cause du dérèglement climatique. Or nous n’avons pas les ressources nécessaires pour faire face. La COP26 a donc permis à ces pays d’exprimer leurs besoins, qui sont, je le rappelle, de plus de 30 milliards de dollars par an, rien que pour le continent.

 

Quelles sont, selon vous, les principales leçons à tirer pour l’Afrique ?

D’abord, et comme le souligne le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), nous sommes en zone de danger ! L’Afrique va subir un réchauffement plus fort et avant les autres. Ensuite, le focus qui a été fait sur l’adaptation est important. C’est de l’adaptation dont l’Afrique a besoin et il faut dégager les ressources nécessaires pour cela. Or, les pays en développement ne peuvent pas s’adapter et réaliser leur transition énergétique sans les 100 milliards de dollars promis dès 2009 par les pays développés.

 

Cette promesse n’a pourtant pas été tenue…

Même si la réalisation de cette promesse a été repoussée de trois ans par rapport à 2020, cela ne change rien au fond. De notre côté, nous avons continué à travailler en Afrique pour essayer de mobiliser les ressources indispensables. Nous avons lancé le programme Accélération de l’adaptation pour l’Afrique (AAAP), à l’initiative notamment de l’Union africaine et de la Bad. À ce titre, la banque va mobiliser 25 milliards de dollars additionnels pour l’adaptation en Afrique.

 

Justement, beaucoup de promesses ont été faites, notamment du côté des bailleurs internationaux. Où se situent les réelles avancées ?

Je trouve que les annonces faites à Glasgow qui concernent directement l’Afrique sont satisfaisantes. Certains États en particulier ont accordé un appui significatif. Par exemple, le gouvernement britannique – hôte de la COP – a offert un nouveau mécanisme de garantie à la Bad. Ce mécanisme devrait permettre de débloquer jusqu’à 2 milliards de dollars de nouveaux financements pour des projets sur le continent, dont la moitié aidera les pays à s’adapter aux effets des changements climatiques.

Des projets comme « desert to power », initié pour développer le solaire dans les pays sahéliens et donner un accès à l’électricité à 250 millions de personnes, ont été remis au cœur des discussions. Le Fonds vert pour le climat s’est engagé pour 150 millions de dollars, la fondation Rockefeller a signé un engagement de 100 millions de dollars, l’Agence française de développement a promis 100 millions de dollars, le gouvernement suédois a annoncé 28 millions de dollars…

Les ressources mobilisées sur ce projet sont très concrètes pour nous.

 

Au sujet de la désertification, vous participez activement au projet Grande Muraille Verte. Remis au goût du jour par le président Macron en janvier dernier, il a fait l’objet d’un mini-sommet en marge de la COP. A-t-il des chances de voir le jour ?

Le projet Grande muraille verte (GMV) s’attaque directement à ce que je qualifie de triangle des désastres : pauvreté structurelle et élevée, chômage des jeunes, et dégradation du climat et des environnements. Un triangle qui appelle presque toujours les conflits.

Ce couloir d’arbres, de prairies, de végétation et de plantes de 8 000 km de long et 15 km de large, doit constituer un rempart contre l’insécurité, garantir un climat plus résilient et éviter les migrations vers l’Europe.

Mais il faudra en même temps garantir un accès à l’énergie aux populations, avec un projet comme « desert to power », sans quoi la GMV deviendra un simple mur de charbon ! Sans accès à l’énergie, les populations seraient en effet amenées à couper les arbres pour s’en servir de bois de chauffage…

 

Vous plaidez par ailleurs pour une agriculture modernisée qui sera le moteur de la transformation des économies en Afrique. Après une année de récession en 2020, liée au covid-19, le secteur a-t-il encore une carte à jouer ?

La reprise des économies africaines doit se faire de manière inclusive au niveau des populations à faibles revenus, et inclusive vis-à-vis du milieu rural. Et c’est l’agriculture qui doit être au centre de cela. Mais, en effet comme je l’ai souvent dit, l’agriculture doit être modernisée. L’agriculture est un business, et le plus grand business d’Afrique.

D’ici à 2030, l’agriculture et l’agroalimentaire représenteront 1 000 milliards de dollars en Afrique. Ce qui signifie que, bien géré, le secteur devrait donner les moyens au continent de diversifier ses économies, de créer de l’emploi et de transformer le milieu rural en pôles de prospérité.

 

Quels sont les leviers pour y arriver ?

Une agriculture plus résiliente face à la sécheresse, à la chaleur, aux parasites qui dévastent les cultures africaines, pour ne citer qu’un exemple. Avec le programme TAAT (Technologie pour la transformation de l’agriculture), lancé il y a cinq ans par la Bad par exemple, plus de 11 millions d’agriculteurs dans 29 pays africains, ont bénéficié de technologies telles que du maïs résistant à la sécheresse ou du blé résistant à la chaleur.

Lors du dernier Sommet sur les systèmes alimentaires des Nations unies, les chefs d’État ont décidé de créer une facilité pour la sécurité alimentaire et la nutrition en Afrique. Rediscutée à Glasgow, et on l’a renommée « mission 1 pour 200 », elle entend, pour 1 milliard de dollars dépensés, sortir 200 millions d’Africains de la famine.

Cette facilité va permettre de déployer une agriculture résiliente auprès de 40 millions d’agriculteurs, doubler la productivité pour neuf cultures vivrières les plus importantes en Afrique et produire 100 millions de tonnes de produits alimentaires. De quoi nourrir 200 millions de personnes.

En Afrique aujourd’hui, 283 millions de personnes souffrent de famine. Grâce à cette facilité, nous sommes capables de réduire ce chiffre de 80 %.

 

Source : JeuneAfrique.com