Côte d’Ivoire-Café-cacao-les enfants des planteurs : « Nous avons des soucis »
Franck Mickael Kouassi, président de l’Unepci, Union nationale des enfants des planteurs de café-cacao de Côte d’Ivoire, est convaincu que « le paysan doit être traité comme un vrai acteur économique ».
Comment vous est venue l’idée de la création de l’Unepci ?
Au départ, tous les enfants des planteurs des dix communes d’Abidjan se rencontraient à Yopougon (Nord d’Abidjan, capitale économique ivoirienne), chaque fin de mois pour jouer au foot et échanger sur l’évolution de la filière café-cacao. C’est ainsi qu’on a mûri l’idée de la création de cette association.
Quelle en est exactement la mission ?
Nous travaillons pour le bien-être des planteurs et de leurs familles. Nous luttons également contre la traite et les pires formes de travail des enfants dans la cacaoculture. Nous apportons notre appui à la scolarisation des enfants des planteurs de café et de cacao de Côte d’Ivoire. Nous faisons aussi la promotion des produits finis issus du café et du cacao. Nous travaillons également sur la chaîne de financement des femmes exerçant dans la filière café-cacao ; nous encadrons les planteurs pour l’appropriation de la politique de l’agriculture durable et de l’agro-écologie ; nous encadrons les coopératives agricoles pour leur passage de standard de certification internationale ; nous œuvrons pour que les difficultés de nos parents producteurs remontent aux autorités compétentes. Sans oublier que nous participons aussi au programme d’alphabétisation et d’initiation à l’informatique pour les enfants de planteurs de café-cacao de Côte d’Ivoire.
La lutte contre le travail des enfants semble vraiment vous occuper !
La lutte contre le travail des enfants est notre premier objectif. C’est la raison pour laquelle nous sensibilisons et encourageons nos parents planteurs à scolariser nos petits frères. Nous leur expliquons les dangers qu’ils encourent, en utilisant des enfants mineurs dans les plantations. Ils sont informés que cela peut amener les institutions internationales à mettre un embargo sur le cacao ivoirien ; ce qui pourrait être une perte énorme pour tout le monde. Pour éviter qu’on en arrive là, nous leur disons de scolariser les enfants et que leur place est à l’école.
Depuis votre existence, quelles actions concrètes avez-vous menées pour ceux que vous défendez?
Nous avons mené beaucoup d’actions. Je ne citerai que quelques-unes. Nous avons offert 5 hectares de pépinière à des planteurs de café-cacao pour le renouvellement de leur verger. Dans le domaine social, nous avons pris en charge, avec le soutien de nos partenaires, six planteurs pour des cas d’opérations chirurgicales à Tiassalé. Nous faisons aussi des dons en matériels agricoles dont des herbicides aux planteurs de café-cacao à Lôh-Djiboua. Nous organisons notre Arbre de Noël pour les enfants des planteurs. Nous distribuons des kits scolaires aux meilleurs élèves. Nous venons même de faire des dons de prise en charge pour dix (10) enfants de planteurs. A Soubré, Divo et Daloa, nous avons organisé des caravanes de sensibilisation contre le travail des enfants dans la cacaoculture.
Pour nous, l’enfant du planteur doit se sentir à l’aise comme tout autre enfant. Il s’agit pour nous de leur donner un peu de joie, en cette période de fin d’année, et surtout les encourager à mieux travailler à l’école, car la plus part des enfants du monde rural n’ont jamais vu de Père Noël, n’ont jamais dégusté le chocolat et n’ont jamais reçu de cadeaux. Donc, pour nous, c’est très important d’organiser un Arbre de Noël à travers lequel, l’enfant du paysan se sent valorisé.
Quels sont vos rapports avec le Conseil du café-cacao?
Le Conseil du café-cacao ne nous a jamais fait défaut. Nous sommes à notre deuxième édition d’Arbre de Noël, et cette structure nous vient en aide. Elle met à notre disposition des cadeaux et du chocolat pour les enfants des planteurs. Nous profitons de votre lucarne pour dire merci au directeur général du Conseil café-cacao.
Après des années d’existence, bénéficiez-vous de soutiens extérieurs ?
Nous sommes suivis par des organisations internationales suisses et françaises. Il y a eu des prises de contacts. Nous avons bon espoir que les années à venir, notre organisation pourra bénéficier de soutiens matériel et financier pour le bonheur de nos parents planteurs.
Quelles sont vos attentes par rapport au gouvernement ivoirien ?
Nous attendons que le gouvernement à travers le ministère de la Jeunesse puisse aider les enfants des planteurs par le financement de plantations clé en mains, de fermes avicoles et surtout le financement des organisations des jeunes du monde rural.
En avez-vous une fois fait la demande ?
Oui. Chaque année, nous le gouvernement sollicitons pour le financement de nos activités. Mais, jusque-là, nos demandes sont restées sans suite.
Le producteur du café ou du cacao est-il vraiment valorisé, pour son rôle essentiel dans l’économie nationale ?
C’est ce qui nous galvanise à toujours communiquer et attirer l’attention des décideurs sur les conditions difficiles de vie de nos parents planteurs. Nous voudrions aussi dire merci au gouvernement ivoirien qui, malgré le contexte économique difficile dû à la covid-19, a pu faire un effort, en augmentant légèrement le prix du kilogramme de cacao en passant de 825 Fcfa à 1000 Fcfa, pour la même quantité. Nous saluons également son effort qui nous permet d’obtenir le Drd, différentiel de revenu décent, estimé à 400 dollars (environ 220.000 Fcfa), par tonne. Lequel prélèvement devra être reversé aux cacaoculteurs. Nous pensons qu’une fois, les conditions de vie des planteurs et de leur famille vont commencer à s’améliorer, bien que beaucoup reste à parfaire.
Notre pays est le premier producteur de cacao avec 2 million de tonnes par an. L’Etat ivoirien doit combler notre retard en termes de stockage. Car, là où le Ghana stocke 500 mille tonnes, nous stockons 300 mille tonnes. Or, si la Côte d’Ivoire a une grande capacité de stockage en cas de baisse du prix du cacao, nous n’aurons aucune contrainte à brader nos fèves. Aussi voudrions-nous encourager la Côte d’Ivoire à renforcer sa coopération avec le Ghana dans la mise en place de l’Opep du cacao, dont le siège sera à Accra (Ghana) pour défendre les intérêts des cacaoculteurs des deux pays.
Les enfants des paysans sont souvent les derniers à (re)prendre le chemin de l’école. Votre commentaire ?
C’est avec le cœur meurtri que nous voyons ces choses-là. Chaque rentrée scolaire est une peur pour nos parents planteurs qui se voient obligés d’attendre la fixation du prix du cacao, le commercialiser avant de scolariser leurs enfants. Il y a des paysans qui bradent leurs productions ou s’endettent auprès des pisteurs véreux pour mettre leurs enfants à l’école. Les planteurs de café-cacao ont beaucoup donné à ce pays. Toutes les grandes réalisations (immeubles et autoroutes…) ont été financées en grande partie avec l’argent du cacao et du café. En retour, l’Etat doit remonter l’ascenseur vers les planteurs. Les kits scolaires distribués par le ministère de l’Eduction nationale sont insuffisants. Pour ce faire, nous proposons la création d’une banque typiquement dédiée au secteur du café-cacao. Celle-ci se chargera de financer les planteurs en difficulté et ceux qui ont des projets. Cette banque pourra être financée par les taxes sur le café-cacao. Cela devra aboutir à l’octroi de prêts scolaires avec zéro taux de remboursement.
Abordez-vous ces sujets lors de vos déplacements ?
Oui. Nous en parlons, car l’éduction des enfants des planteurs est une priorité comme l’avait toujours fait savoir le Président Félix Houphouët-Boigny, le premier président de la République de Côte d’Ivoire. Dans nos échanges et tournées, les planteurs demandent au gouvernement de leur venir en aide pendant les rentrées scolaires. Ils nous disent toujours que la place des enfants est à l’école et non dans les plantations et cela ne doit pas être un simple slogan.
Riche Ouattara
(Interview réalisée via Internet)