Côte d’Ivoire : MZK, le développeur éclairé, retourne auprès du Créateur
Le programme de ses obsèques
Le Professeur Théophile Assa Koby salue le vagabond, le mordu, l’agent du développement, MZK, Marcel Zadi Kessy, qui sera inhumé, samedi 30 janvier 2021, à Yakolidabouo, son village natal (Ouest ivoirien).
J’ai eu l’honneur et le privilège de côtoyer le président ZADI Kessy, et de partager à son invitation sa riche et immense expérience sur les questions de développement de proximité dans notre pays. Ce témoignage sur ce Grand Serviteur de l’Etat ne s’attarde pas sur la dimension du personnage dans ses liens avec les hautes responsabilités de manager et du politique, mais plutôt sur celle d’un cadre ivoirien atypique, passionné de développement de proximité et de l’Homme.
Peu nombreux sont en effet, chez nous, les responsables de cette trempe, socialement assis, qui distraient une infime partie de leur temps pour mettre leurs compétences et leur expérience au service des communautés dont ils sont issus et au-delà. Plus rarissimes encore sont ceux qui adoubent la volonté de servir les plus « petits » en faisant l’effort de s’isoler, périodiquement, pour se consacrer à la réflexion, à l’écriture et à la créativité novatrice en rêvant de progrès et de démarches pour susciter le changement dans les conditions économiques, sociales, culturelles et spatiales de ses compatriotes. Le président Zadi émerge sur ces différentes facettes comme une sorte d’aberration par son atypisme dans notre environnement national.
Ces angles majeurs de vue de son atypisme dévoilent un Pionnier sur une manière originale de voir l’évolution, un Visionnaire mué en Vagabond du développement de proximité au service de l’Homme, dont l’attitude face à l’avenir s’inscrit parfaitement dans le paradigme florissant de la complexité qui stimule l’intelligence collective pour servir de boussoles dans la construction de futurs africains neufs dans nos laborieux « essais de développement ».
La première fois que je rencontrais le Président Zadi Kessy, en décembre 2003, cela faisait déjà plus de trente ans qu’il était sur le terrain du développement de proximité en commençant par son village : Yacolidabouo. Le développement de proximité ne relevait pas pour lui d’un concept purement spéculatif. Il l’entendait comme un mode de développement en prise avec les réalités de l’Afrique, conçu dans le contexte spécifique de son environnement ethnoculturel krou-bété et, au-delà dans celui des autres ethnies. Voilà ce qu’il cherchait à opérationnaliser en se fondant sur un credo. Ce credo reposait sur l’extrapolation vers le milieu rural de sa conception de la gestion de l’entreprise et des organisations d’une manière générale.
Au-delà des notions de compétitivité et de productivité, ce qui l’accrochait dans son projet pour un développement de proximité, c’étaient la primauté d’un environnement épanouissant, le facteur comportement des acteurs impliqués dans le fonctionnement des organisations, ainsi que la solidarité dans un sens puisé dans la culture bété : « Ouyiné ». Car la rentabilité n’était pas, pour lui, porteuse de valeurs sociales, humaines et fraternelles. C’est l’être humain, moteur et finalité du développement et de l’organisation de la société qui le préoccupait au premier chef. « Le développement de proximité a, d’abord et avant tout, une dimension territoriale impliquant appropriation et pilotage communautaire. Il suppose l’intégration et la participation des différentes catégories de la population aux différentes étapes du processus » (lu dans Zadi K.M., 2013 : le village école, Yacolidabouo une expérience de développement. Edition les ilots de résistance, France, pp 102-110).
J’ai relevé également chez l’homme, au-delà de l’approche conceptuelle pour traduire ses projets en actions concrètes, une autre dimension de la proximité. Son agir était rythmé par la fréquentation régulière des populations ciblées. Le président Zadi se fondait, par ce biais, dans la communauté de son village d’origine pour partager avec elle, patiemment, sa vision sur les changements souhaités. L’immersion dans le peuple se faisait parfois en sacrifiant son confort matériel, à un degré insoupçonnable pour son niveau social, afin de susciter la mobilisation des villageois. J’ai perçu cette attitude lors d’une mission de vulgarisation de son approche du développement de proximité à laquelle il m’avait fait l’honneur de m’associer en 2004, non pas à Yacolidabouo son village, mais à Ananguié, un village abey.
Ce grand Manager habitué au confort des grands palaces au cours de ses missions s’est abaissé pour dormir dans une maison sans eau courante et climatiseur, et se doucher avec un seau d’eau, soutenu par Kany, son incomparable épouse. Les postulats de la prospective enseignent de fait que, parmi les trois temps de cette discipline jeune et utile, l’Appropriation, après l’Anticipation, est un passage obligé pour qui cherche à articuler efficacement réflexion stratégique et Action. On doit à ce type de comportement et de don de soi, l’émergence de Yacolidabouo, au bout de plusieurs décennies d’interventions patientes et méthodiques, comme un laboratoire grandeur nature de développement de proximité, et même mieux, comme un village-école hors du commun en Côte d’Ivoire.
Car Yacolidabouo c’est aujourd’hui : un conseil de village qui a lieu généralement au lever du soleil avant d’aller aux champs ; un comité de femmes au service de la communauté ; des planteurs d’hévéa à l’origine de la création de richesses dans le village, mais aussi le maraîchage pour accroître les sources de revenu ; un lotissement et un habitat en dur amorcé dans les années 1970 ; trois écoles primaires, un collège et 100% des enfants scolarisés ; une salle informatique qui sert à la fois de cyber-café et de lieu de formation aux arcanes du numérique et du Web pour les villageois ; un château d’eau et de l’eau courante ; un centre de santé et une ambulance ; une radio de proximité émettant sur un rayon de 80 km autour du village ; une usine de traitement du latex à proximité du village ; un village éclairé dans le sens de l’ouverture qui illumine la construction de nouveaux avenirs en étant collectivement artisans d’un progrès pour tous au service de chacun.
Toutes ces réalisations ont fait basculer le monde ancien dans un nouveau, sans empêcher, pour autant, Yacolidabouo de demeurer un village dans la plénitude de la chaleur et la solidarité congénitale bété. On doit cette performance à une présence soutenue et patiente du président Zadi dans l’environnement familial et socioculturel de son village natal. II a été un prophète chez lui grâce à sa capacité à mobiliser pour susciter les ruptures et changement indispensables au succès de son projet grâce à cette immersion dans son milieu d’origine.
Très peu d’Ivoiriens savent que la Côte d’Ivoire est une terre africaine de prospective. Depuis 1973, le président Houphouët a initié des études nationales prospectives, et cette tradition a été poursuivie par ses successeurs malgré leurs divergences idéologiques. Le président Zadi fait partie de la première vague de l’élite ivoirienne sous l’égide du président Houphouët à avoir été familiarisée avec l’articulation entre réflexion prospective et action. Prospective et vision longue sont indissociables, et cela transparait dans le parcours du président Zadi, lorsqu’il s’interroge au terme de son ouvrage intitulé Yacolidabouo village-école, une expérience de développement.
Le développement de proximité…et après ? Le président Zadi laisse aux générations futures le soin de juger si la voie du développement qu’il a choisie a pu porter des fruits. Mais la pérennité de son œuvre lui tenant à cœur, il a anticipé en créant des associations, des ONG et des fondations en projetant parallèlement la portée de son action au-delà de l’horizon de Yacolidabouo. « L’autre domaine où nous avons l’ambition de développer le développement de proximité concerne les quartiers des villes grandes ou moyennes, où les problèmes les plus graves de l’Afrique se cristallisent. » En ce sens, l’homme devrait être perçu comme un précurseur d’un cercle ivoirien d’entrepreneurs du futur. Dans son souci de partager son expérience, il a initié, animé et financé de nombreux séminaire et ateliers, créé des associations, des ONG et des fondations qui flèchent un souci de pérennisation de son œuvre. Parmi les objectifs prioritaires du long terme, pointe le souci de création d’un laboratoire du mieux vivre demain dans nos cités.
La disparition du président Zadi Kessy est une grande perte aussi bien pour son village, l’Etat que la société ivoirienne. On peut s’essayer à une interprétation chrétienne de son œuvre. Je n’ai jamais discuté de questions de religion avec lui. Mais j’ai cru voir dans ses comportements des signes de l’Evangile. Et il m’est apparu comme un apôtre du développement communautaire par son abaissement, son humilité, sa discrétion, ses capacités de négociateur, son penchant pour servir l’Autre et sa disponibilité sans bornes. Ce sont les mesures des réponses qu’il a apportées à sa communauté d’origine dans sa tentative pour conjuguer tradition, modernité et développement.
L’exemple concret du «laboratoire du mieux vivre » de Yacolidabouo est une nouvelle pierre apportée à la construction de l’édifice ivoirien dans sa globalité. Car écrit-il […] « il nous semble …possible en Côte d’Ivoire et dans l’ensemble de la région subsaharienne, d’améliorer l’accès des plus pauvres à une vie meilleure, à des services de soin et d’éducation en particulier de la même manière dont cela a été réalisé à Yacolidabouo. Nous n’avons certes pas trouvé le fil d’Ariane du développement dans ce village, les initiatives Yacolidabouo et les résultats de cette méthode, au demeurant simple, et pragmatique et évolutive, nous paraissent simplement devoir être versés au débat.»
Pour nous autres qui sommes de sa génération et qui avons donc notre avenir irrémédiablement derrière nous, il ne nous reste qu’à poser, en attendant de le rejoindre, les gestes encore possibles pour entretenir ce débat et cette immense espérance. Tel est le sens profond de ce témoignage trop bref pour mettre en lumière le pluridimentionnalité de l’homme que nous pleurons. Vagabond et Apôtre du développement, il a combattu le bon combat, et nul doute que le Seigneur lui en saura gré dans sa miséricorde au moment où il se présente à la porte de son paradis.
A son épouse, admirable Kany et inséparable compagne dans son «vagabondage» pour faire partager sa vision du développement de proximité, à ses enfants, à sa famille biologique et à la communauté de Yacolidabouo, au pays bété, YAKO et merci pour ce trésor que vous avez donné à la Côte d’Ivoire.
Professeur KOBY Assa Théophile
NB : le titre est de la rédaction