Côte d’Ivoire (Rentrée scolaire, vie chère) / « Le meilleur ne sourit pas aux Ivoiriens, et pourtant… » (Yves Aka, pdt FAC-CI)
Rentrée scolaire 2023-1024 en Côte d’Ivoire, vie chère (hausse du prix du riz…), Yves Aka, président de la Fac-ci (Fédération nationale des associations de consommateurs de Côte d’Ivoire), répondant aux questions de BSC-NEWS, regrette que « Le meilleur soit presque fermé aux Ivoiriens, alors que la Côte d'Ivoire est dotée de potentialités incroyables...»
La Côte d’Ivoire est en pleine rentrée année scolaire et cette période se présente, chaque année, avec de nouvelles difficultés pour les parents, notamment le changement constant des ouvrages, des coûts exorbitants pour la scolarité…Quel est votre constat et que préconisez-vous ?
Le commun des mortels a bien souvent focalisé la question de la vie chère sur les denrées alimentaires, alors que plusieurs autres secteurs constituent aujourd’hui, au vu de la réalité du terrain, la poche d’effusion du pouvoir d’achat du consommateur. Parmi ces secteurs-là, l’école occupe l’une des premières places tristes, quoiqu’indispensable dans la vie des citoyens de la nation. C’est vrai, l’on nous dit souvent que le savoir coûte cher, mais il faut qu’on comprenne que notre pays depuis plusieurs régimes, a opté pour l’école gratuite et cela doit être le principe et non l’exception. Le meilleur ne semble pas sourire aux Ivoiriens, et pourtant la Côte d'Ivoire est dotée d'un sol de potentialités incroyables...
Le montant des inscriptions n’est jamais respecté par les établissements privés, qui augmentent les frais pour les affectés, selon leur bon vouloir…
Aujourd’hui, l’école n’est point gratuite, bien au contraire, elle est budgétivore, la rentrée scolaire est stressante parce qu’elle met en jeu la dignité des parents d’élèves qui risquent leur honneur. Actuellement, plusieurs parents d’élèves ne savent pas à quel saint se vouer, car les frais d’inscription dans les écoles sont exorbitants et les prix des fournitures scolaires prennent l’ascenseur chaque année.
Toutes les écoles privées ont leurs propres frais d’inscription en plus de l’inscription en ligne fixée par l’état à 3000 F au privé et 6000 F au public.
L’inscription parallèle dans les écoles privées est le double voire le triple de l’inscription en ligne.
Et ce qui intrigue, c’est qu’à l’inscription, on t’oblige souvent à faire au moins un premier versement pour les frais de scolarité, contraignant ainsi le parent à payer entre 50.000 F et 200.000 F à l’inscription de son enfant.
La scolarité elle-même est tellement pesante sur le pouvoir d’achat du parent d’élève.
Aujourd’hui, la scolarité d’un enfant non-affecté et celle d’un affecté sont pratiquement les mêmes; la différence n’est que 5% de réduction. Par exemple, un élève affecté en 6e dans une école privée à Angré, coûte autour de 300.000 FCFa sans le transport et la cantine ; c’est exorbitant !
Un autre dossier nauséabond, concerne les fournitures scolaires.
D’une part, l’on a constaté sur le marché une augmentation allant de 5 % à 25% du prix des fournitures scolaires, et d’autre part, il y a un désordre créé par un système vertigineux pour les parents d’élèves avec une panoplie d’éditeurs dont le choix du livre est laissé à l’enseignant selon son goût et ses affinités.
Le parent d’élève se retrouve à la librairie avec une liste de fournitures scolaires non seulement marquées par la pénurie, mais il faut chaque fois te référer à chaque enseignant pour demander l’édition qu’il a choisie soit en mathématiques soit en français soit en anglais… alors que l’on compte autour d’une dizaine d’éditions en Côte-d’Ivoire. C’est du désordre !
Les conséquences d’un tel système c’est que le parent n’a plus la possibilité de léguer les anciens livres des aînés aux cadets, car tout est à l’appréciation des enseignants.
C’est un système budgétivore et vertigineux.
La cherté des fournitures scolaires est un handicap pour le parent d’élève qui se trouve incapable de les acheter toutes pour ses enfants. Ainsi, les enfants n’ayant pas tous les manuels scolaires sont incapables d’avoir le résultat escompté pour défaut d’ouvrages d’apprentissage. Et cela impacte négativement les résultats scolaires.
L’opération distribution de kits scolaires lancée par le gouvernement depuis des années atteint-il vraiment ses objectifs ? Ces kits profitent-ils réellement aux élèves ?
On a souvent retrouvé ces ouvrages sur le marché, alors qu’ils sont gratuits…
Les fournitures scolaires faisant l’objet de dons du gouvernement sont dits victimes de détournements et se retrouvent sur le marché local, selon certains témoignages.
De plus, ces fournitures scolaires de l’État sont livrées avec beaucoup de retard, alors que les parents d’élèves ont déjà fait des dépenses sous la pression de la rentrée programmée. Cette réalité vient mettre en doute la politique de la gratuité du gouvernement.
La vie chère est une réalité en Côte d’Ivoire. Vous avez donné les raisons de l’augmentation par exemple du prix du riz dans les marchés ivoiriens. La Côte d’Ivoire doit-elle souffrir d’une telle situation ? La décision gouvernementale de suspension de l’exportation du riz local peut-elle constituer une solution, même provisoire ?
C’est vrai, la vie chère est vraiment au plan mondial, car elle est souvent due à des facteurs exogènes causés par les crises impactant les prix sur le marché mondial.
Cependant, chaque pays devrait faire usage de ses potentialités locales pour réagir et faire face aux flambées des prix. À cet effet, la Côte-d’Ivoire dispose de potentialités naturelles, structurelles qui devraient lui permettre de résister et même se profiter de la situation pour capter les opportunités des crises. C’est le cas de notre disponibilité en bas-fonds pour la rizicultrice et en verdure pour l’élevage ainsi qu’en ressources humaines jeunes sorties de nos excellentes écoles professionnelles et techniques. Nos terres sont propices pour tout planter ou semer dans nos sols .
La décision de suspension de l’exportation du riz local et du sucre est peut-être une mesure de précaution vis-à-vis des commerçants véreux. Sinon normalement, ces 2 produits faisant l’objet de pénurie au plan local, ne devraient pas amener un producteur ou vendeur à faire l’exportation puisque la demande locale n’est pas encore satisfaite, c’est donc incongru que d’envisager une exportation de produits par le gouvernement lui-même.
Comment peut-on apporter une solution durable à cette situation en Côte d’Ivoire ?
Face à toutes ces situations constatées, nous proposons :
Au niveau de l’école :
- la réglementation des prix des inscriptions et des scolarités ;
- un contrôle des prix réglementés ;
- une inspection rigoureuse pour l’attribution des autorisations avant les affectations des élèves en associant les organisations de consommateurs ;
- confier l’attribution des ouvrages à un nombre réduit d’éditions ne dépassant pas le nombre de 3 pour éviter le désordre ;
- le choix des éditions doit se faire exclusivement par le ministère technique de l’Education ou de l’enseignement.;
- que les parents d’élèves aient la possibilité de léguer les anciens ouvrages des aînés aux cadets, selon une organisation interne des Coges.
Concernant la vie chère en général :
- d’abord, il faut amener tous les acteurs à faire respecter les prix plafonnés ou réglementés.
Ainsi, l’administration de contrôle doit être réactivée et disponible et les commerçants et organisations de commerçants doivent être sincères en usant de pratiques transparentes imposant la loyauté des prix sur le marché. Tandis que les consommateurs et organisations de consommateurs doivent surveiller le marché avec les outils à leur disposition tels que l’application contrôle citoyen facilitant la dénonciation.
- Ensuite, l’État doit prioriser les ressources et potentialités locales pour mettre en place une politique sincère de production agricole débouchant sur l’industrialisation déjà amorcée et cela au détriment des importations aliénantes, car il faut éviter de confier son ventre au voisin.
Il faut, si possible ressusciter nos Sodé (Société de développement, ndlr) à défaut de rebaptiser le ministère de l’Agriculture « ministère de l’Agriculture et de l’autosuffisance alimentaire »;
- la sensibilisation et l’orientation de la jeunesse aux travail et métiers agricoles
- la lutte contre l’orpaillage clandestin doit être l’affaire de toutes les composantes nationales et locales ;
- le découragement de l’avancée du secteur immobilier au détriment des terres cultivables.
- l'organisation des politiques culturales en fonction des potentialités régionales pour en faire des pôles agricoles et industriels consacrés et spécialisés.
- il faut enfin cultiver le civisme et l’éco-citoyenneté pour une production durable.
Réalisation, Riche Ouattara