Côte d’Ivoire : « Des opposants me prenaient de l’argent pour aller m’insulter » (Laurent Gbagbo)

Détenus d'opinion : les assurances de l'ex-président aux épouses

Côte d’Ivoire : « Des opposants me prenaient de l’argent pour aller m’insulter » (Laurent Gbagbo)
Laurent Gbagbo, ancien président de Côte d'Ivoire. (ph : dr)

Recevant ce lundi 2 août 2021, à Abidjan-II-Plateaux-Vallons, les épouses des « détenus d’opinion », l’ancien chef de l’État, Laurent Gbagbo, a levé le voile sur quelques « vérités » demeurées... Ci-après l’intégralité de son discours.

 

Discours du président Laurent Gbagbo devant les épouses des détenus d’opinion de 2011-2021

Chers Maîtres (parlant des avocats), je vous remercie de votre présence. Je leur dis Merci parce qu'ils ont été également mes avocats, beaucoup sont allés me voir à Korhogo. Et après Korhogo, Agathe a été cooptée par l'équipe qui m'a défendu pendant ces 10 ans à la Haye, donc je les connais tous. Merci !

 

Camarades dirigeants du parti et militants de tous les partis, cette assemblée est comme je l'ai souhaité. C'est-à-dire qu'en prison, il n'y a pas de catégories. En prison, il n'y a pas de partis politiques. On est tous soumis aux mêmes problèmes. Moi, je crois que la place d'un homme politique n'est pas en prison. Quand on regarde les pays développés, les hommes politiques ne sont pas plus vertueux qu'en Afrique, mais c'est en Afrique qu'on met les hommes politiques toujours en prison. En Europe, il y en a même des célèbres qui sont devant les tribunaux, qui sont prompts à venir mettre des hommes politiques en prison en Afrique, mais eux, en Europe, vont de sursis en sursis parce que les européens respectent leurs dirigeants.

 

Je vous salue, mesdames ! J'ai voulu aller rendre visite à tous vos maris, mais bon... Le ministre de la Justice a répondu que ce n'était pas possible. C'est pourquoi, je vous appelle ici pour essayer de vous consoler un peu. Sinon on connaît la solution à vos problèmes : c'est la libération de vos époux. C'est la seule solution. Donc, quand l'occasion m'a été donnée de rencontrer le président Ouattara, je lui ai posé un seul problème : la libération des prisonniers.

 

Il ne m'a pas dit "Non". Mais il ne m'a pas dit "Oui" non plus (Rires). Il ne m'a pas dit "Non" parce qu'il m'a dit qu'il allait étudier et que, pour le moment, il était en train d'étudier le cas de ceux qui avaient été arrêtés au moment des élections de 2020. Et qu'il pense que pour cette fête d'indépendance, ce serait trop tôt, mais il va faire tous les efforts pour les libérer le plus tôt possible (Applaudissements). C'est la réponse qui m'a été faite et je vous la transmets, telle. On est obligé de s'accrocher à cette réponse et de prier pour que nos frères, nos amis, nos camarades, nos époux soient libérés.

 

Je connais la prison. Moi, j'ai été à la CPI, mais la singularité de la CPI, c'est que ce n'est pas dans mon pays, et que ce n'est pas sur le continent africain. C'est loin, sinon je connais la prison. Depuis longtemps, je vais en prison, je me souviens des réunions que je faisais en prison avec Assoa Adou en 1969, donc je connais la prison. Mais, c'est le prix à payer.

 

En Afrique, quand tu n'es pas issu de la classe dirigeante et que tu fais la politique, on t'arrête. Or moi je ne suis pas issu de la classe dirigeante, je me suis battu pour arriver là où je suis arrivé. Ça veut dire que, j'ai heurté plusieurs fois la tranquillité de ceux qui dirigeaient. Je les ai dérangés plusieurs fois. Mais je pense qu'aussi et ça je l'ai écrit plusieurs fois, qu'un pays où le droit de déranger les gouvernants, n'est pas reconnu aux citoyens, un tel pays ne se développe pas. Un tel pays où la liberté de déranger n'est pas reconnue, ce pays-là ne se développe pas.

 

Moi, j’ai été président de ce pays pendant 10 ans, citez-moi un seul homme politique que j’ai fait mettre en prison pendant les 10 ans ! (Applaudissements)

Parce que la voie de notre développement se trouve là, dans la liberté que les gens ont de s'opposer. Les gens ont la liberté de s'opposer à une politique et quand on ne reconnaît pas cette liberté, il n'y a pas de développement au bout. Ton adversaire peut te critiquer, mais tu dois puiser dans ces critiques pour conduire ton action politique. Mais si tu es frileux et que tu n'acceptes pas qu'on te critique, je pense que tu ne vas pas aller bien loin.

Moi, j’ai été président pendant 10 ans ici, je n’ai pas arrêté quelqu’un, pas d’hommes politiques. Bon, la police a continué à jouer son rôle, les voleurs, les assassins, les mauvais chauffeurs, ça ne relève pas du chef de L'Etat, ça ne relève pas des décisions politiques. Mais aucun de mes adversaires politiques n'a connu d'arrestation. Il y en a même qui était avec moi, puis contre moi, et ensuite de nouveau avec moi, mais on ne les a pas arrêtés.

 

Prenez courage, prenons courage, je suis arrivé, j'ai fait un programme que je déroule. Le point actuel de mon programme, c'est de me battre pour la libération de tous les prisonniers d'opinion. Beaucoup sont mes amis, des jeunes frères, d'autres sont mes adversaires, mais ils ne doivent pas être en prison.

 

Je voudrais que les Ivoiriens partagent cette idée avec moi que la place des hommes politiques n’est pas en prison. C’est une idée qui me tient à cœur et je voudrais que tout le monde, dans ce pays, partage cette opinion.

Pour le moment, nous luttons pour la libération des prisonniers d'opinion. Après ça, il y a d'autres sujets : lutter pour le retour des exilés (y’a plein d'Ivoiriens qui sont au Ghana, au Togo, au Benin, au Liberia dans des camps, en Mauritanie), il faut que les Ivoiriens rentrent. Je n'ai pas dit que le seul pays où les Ivoiriens doivent vivre, c'est la Côte d'Ivoire. Celui qui veut aller vivre au Burkina, aux USA, en France, il peut, mais il ne faut pas qu'il y soit parce qu'il a été contraint. Il ne faut pas qu'il y soit parce qu'on le recherche dans son pays. C'est ça, le problème !

 

Moi, je regarde devant moi, je vois des épouses d'officiers généraux, je vois des épouses de militants et je vois une mauvaise image pour mon pays. Mais surtout, je trouve les mesures inappropriées, je pense qu'on devrait faire ce que j'ai fait : « Ne pas arrêter les gens qui n’ont pas la même opinion que nous »

Mais, je vais vous dire une chose, on m'avait demandé de faire un gouvernement N'zassa. Donc je l'avais fait, et dedans, il y a un ministre, dont je tairai le nom, qui chaque fois que je venais en conseil des ministres, me saluait et mettait carrément sa figure presqu'à terre pour me saluer. Mais je le suivais parce que je le connaissais. Nous faisions les conseils des ministres chaque jeudi et il partait dans sa région d'origine, chaque week-end et il m'allumait dans les meetings : "Gbagbo est mauvais, il ne vaut rien". Il m'attaquait.

Je dis aux gens, donnez-lui 2 millions, il prend ça, et il s'en va et il m'allume (Rires)

Quand je reviens en conseil des ministres, il vient me saluer, avec la tête en bas (Rires). Et puis plus grave, quand on faisait les conseils des ministres le jeudi, il me disait "oui" monsieur le Président, je dois aller chez moi, j'ai besoin d'argent. Je dis aux gens, donnez-lui 2 millions, il prend ça, et il s'en va et il m'allume (Rires). Je ne l'ai jamais chassé du gouvernement, je ne l'ai jamais arrêté, mais ça se répétait, tous les jeudis, il venait me demander l'argent pour m'allumer. Un jour, il m'a vu et s'est mis à rire. Je lui demande pourquoi tu ris ? et il me dit : "Je sais ce que vous pensez quand vous me regardez". Je dis si tu sais c'est bien, c'est que tu n'es pas trop idiot. Si tu n'es pas fatigué de me demander l'argent, je ne serai pas fatigué de t'en donner.

 

Finalement, il a cessé de me demander l'argent, il a compris que j'avais compris et il a trouvé que c'était grotesque. Mais je veux dire qu'on peut vivre comme ça dans l'humour. Qu'on ne soit pas contraint de mettre quelqu'un en prison, au cachot, parce qu'il n'est pas d'accord avec nous. Le préalable de la démocratie, c'est qu'on ne soit pas d'accord et que tous les habitants d'un pays ne soient pas tous d'accord. Car, si on était tous d'accord, on n’aurait pas besoin de démocratie. Parce que la démocratie permet d'exprimer son désaccord avec un point de vue autre que ce que pense l'autre, et on en a le droit.

 

Chère madame (parlant de Mme Dosso Seydou), j'ai été très ému par votre témoignage. Je sais que beaucoup de femmes sont dans cette situation. Certaines n'ont pas parlé, parce que tout le monde ne peut pas parler. Je vois des épouses des personnes que j'ai connues. Mais elles pleurent dans leur cœur et c'est difficile. Et vous toutes qui pleurez, j'essuie vos larmes. Et c'est la mobilisation de nous tous, qui les libérera.

Ce qu'on me reprochait, c'est grave ! Crimes contre l'humanité, crimes de guerre, assassinats ciblés contre des personnes

Mais aujourd'hui je suis dehors. Ce qu'on me reprochait, c'est grave ! Crimes contre l'humanité, crimes de guerre, assassinats ciblés contre des personnes, on m'a même dit que j'avais jeté des bombes sur le marché Siaka Koné d'Abobo. Je ne sais même pas où est le marché, pour tuer des dioulas.

 

Mais les gens ne connaissent pas la Côte d’Ivoire. Moi-là, je parle dioula. C’est chez les Dioula que j’étais à Gagnoa, quand j’ai eu mon Cépé. L'ami de ma mère qui m'élevait, elle est devenue musulmane, c'est une Bétée. Elle est devenue musulmane parce qu'elle s'est mariée à un musulman. Et je ne vais pas à Gagnoa sans passer chez elle. Moi j'ai grandi là-bas. Le footballeur qu'on appelle Keita Kader, c'est son père qui a épousé ma tante, Mme Kéita.

 

Et aujourd’hui, je suis marié à une femme dioula

Les gens ne savent pas, ils ne nous connaissent pas, et il nous juge. Mais j'ai aimé la dernière partie de la plaidoirie de Me Agathe Baroan, et je vais terminer sur ce point. Elle leur a dit là-bas : "Écoutez, nous en Côte d'Ivoire, nous vivons comme dans une cour commune. Dans une cour commune, il y a des portes et dans chaque porte, il y a un locataire. Le locataire peut être Gouro ou Dioula ou Baoulé. Le propriétaire de la cour ne demande pas l'ethnie avant de louer sa porte, il demande l'argent.

 

Donc quand nous sommes dans une cour commune comme ça, on ne peut pas jeter une bombe sur une cour en disant, je cherche à tuer des Bété ou des Abbey. Parce que tu ne sais qui est dedans. Elle a pris aussi l'image du transport en. Le "gbaka", quand les gens y montent, pour aller de Yopougon à Adjamé, tu ne connais pas les ethnies, mais nous sommes remplis… Quelqu'un peut-il bombarder un "gbaka" et dire que je veux tuer des Dioula ? Il faut que les gens comprennent ça. Ici, nous vivons plus unis que les gens ne le croient. Dans quel pays, on ne fait de palabres ?

 

Nous pouvons faire des palabres inter-ethniques, nous pouvons faire des associations ethniques. [En France, il y a des quartiers de Bretons, de la Corse.] Mais il ne faut pas croire qu'on n'est pas ivoiriens, on est ivoiriens et notre pays nous tient à cœur. Donc Agathe Baroan a plaidé comme ça et quand elle a fini, je me suis assoupi et j'ai dit : "Tout est dit." Cette image de la cour commune, cette image du "gbaka", c'était ça qu'il fallait sortir, elle a sorti, MERCI Agathe.

 

Chers amis, courage ! Mesdames, courage ! On continue la lutte, je suis avec vous. Quels que soient vos partis, nos partis, je suis avec vous tant que vos conjoints sont en prison. Et notre combat, c'est de les sortir de là-bas. C'est de faire en sorte qu'il n'y ait plus jamais un seul prisonnier d'opinion en Côte d'Ivoire. Quand on aura fini ce combat-là et que mes petits frères Dogbo Blé et Vagba seront dehors et qu'on aura fini ce combat, il ne faut pas qu'on dise que c'est fini, parce que ceux qui sont exilés sont aussi en prison. J'ai parlé des camps, il y a des exilés qui sont à Paris, à Bruxelles.

 

J’ai, avec le président Ouattara d’ailleurs, évoqué deux mots sur le cas Soro.

Mais les combats qu'on mène, il faut aller pas-à-pas. C'est ceux qu'on peut faire sortir, par un décret, qu'il faut attaquer maintenant. Après ça, je toucherai ceux qui sont en dehors du pays, en France, en Italie et ça fait pitié. Quand tu vois les gens prendre le désert, mourir dans l'eau et mourir dans le désert, ça me fait mal, mais on ne peut pas mener tous les combats en même temps. Pour le moment, soyons mobilisés pour la libération de vos époux.

 

Je suis avec vous, Assoa Adou, rappelle-moi chaque semaine, la question des prisonniers. Emmanuel Ackah, rappelle-moi chaque semaine, pour qu'on puisse toujours revenir sur la question. Il faut que nous remplissons les oreilles de ceux qui ont la décision et nous remplirons leurs oreilles.

 

Je vous remercie !

 

Service Communication FPI