Côte d’Ivoire : « Le nouchi, ce parler hétérogène et dynamique » (Dr Dodo, sociolinguiste)
Le nouchi a pour base le français et son lexique est composé d’un nombre important d’emprunts aux langues locales ivoiriennes et aux langues étrangères (africaines et occidentales). Ce qui rend ce parler fortement hybride. Les mots qui seront énumérés ci-dessous ne constituent pas la liste exhaustive des emprunts du nouchi à toutes ces langues. Ils interviennent juste à titre indicatif.
1. Les langues ivoiriennes
Le lexique du nouchi est densément constitué par les mots issus des langues ivoiriennes.
1.1 Les mots issus du dioula
De toutes les langues ivoiriennes, le dioula « fournit » plus de mots au nouchi. C’est sans doute dû au fait que bon nombre de ces locuteurs sont dioula (malinké).
Ata ka bori [atakabori] : prostituée, vol exécuté à la tire
Babougô [babugɔ] > [gbagbuɡu] / gbagbougou: frapper, bombarder
Bara [bara] : travail
Bakrôni [bakrɔni] : cabri
Bobara [bobara] : fesse
Bori [kurir] : courir
Bôrô [bɔrɔ] : sac
Djandjou [dʒãdʒu] : prostituée
Djandjouya [dʒãdʒuja] : prostitution
Djêguê/djêkê [dʒɛɡɛ] / [dʒɛkɛ] : laver, se laver, être propre
Dji [dʒi] : eau, (se dji) se laver mystiquement
Djinan mori [dʒinãmori]: prestidigitateur, magicien, magie
Fohi te [fojite] > [yafoji] Ya fohi : il n’y a rien
Fraya [fraya] : fuir
Froto [froto] : piment
Gnagami [ɲaɡami] : mélanger, déranger
Kabadji [kabadʒi]: eau de maïs, bière
Kouman [kumã] : dire
Kounglo [kũŋɡlo] : tête
Malo [malo] : riz
Mlouti [mluti] : fâché
Mousso [muso] : femme
Naloman [nalomã] : stupide
Nassidji [nasidʒi]: décoction mystique
Sôgô [sɔɡɔ] : couteau, couper
Soutra [sutra] : aider
Soutrali [sutrali] : aide
Tassouman [tasumã] : feu
Tchonou [tʃonu] > [tʃũ] tchoun: dénoncer
Toubabou [tubabu] : Européen, Blanc
Trômi-trômi [trɔmitrɔmi] : se tordre
Wélé [wele] : appeler
Wolosso [woloso] : prostituée
Yougouyaga [juɡujaɡa] : sécouer
1.2 Les mots issus du bété
Le nouchi emprunte également des mots au bété qui la langue dominante dans l’espace linguistique Krou.
Abi : frère
Awouli [awuli] : mon ami
Bagnon [baɲɔ̃] : bel homme
Gnétè [ɲetɛ] : seins
Gnézédré [ɲezedre] : pitié
Gnoukouli [ɲukuli]: oreille
Gnrin [ɲrɪ̃] ou Gninrin [ɲĩrɪ̃] : vagin
Gninnin[1] [ɲĩrɪ̃] > [ɲĩnĩ] : saoul, ivre
Guédji [ɡedʒi] : drogue
Lalé [lale] : appeler, téléphone
Kôdré [kɔdre] : toujours
Poagnon [poaɲɔ̃] : orphelin
Soukou [suku] : école
Woody [wudi] : garçon
You [ju] : enfant en bété, les policiers en nouchi
1.3 Les mots issus du baoulé
Le nouchi emprunte beaucoup de mots au baoulé qui l’une des langues majeures de la Côte d’Ivoire.
Ahoko [aoko]: instrument de musique baoulé, masturbation en nouchi
Blêblê [blɛblɛ]: doucement
Blô [blɔ] : faire le malin
Blôfouê [blɔfuɛ] : blanc
Djêtê [dʒɛtɛ] : argent
Likefi [likefi] : rien
Nanwlê [nãwlɛ] : vérité
1.4 Les mots issus des autres langues ivoiriennes
Les autres langues ivoiriennes « fournissent » également quelques mots au nouchi.
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Cobo [kobo] : vieux en wobé devient père en nouchi
Bahi [baji] : habit en guéré mais malchance en nouchi
Gbêlê [ɡbɛlɛ] : boisson (sénoufo)
Pongué-pongué [pɔɡepɔɡe] : rien (toura)
2. Les langues étrangères
Les langues africaines et occidentales enrichissent également le lexique du nouchi.
2.1 Les langues africaines
Certaines langues africaines enrichissent le nouchi. Pour la plupart, ce sont le lingala, le bamiléké, certaines langues ghanéennes (ashanti, fanti, twi), argot nigérian et autres.
Azonto : dance urbaine, être à la mode en nouchi (Ghana, parler urbain)
Bouka [buka] : casser (lingala, Congo)
Chap-chap [ʃapʃap] : vite, rapidement (Nigeria, parler urbain)
Gba [ɡba] : marchandise, affaire (Nigéria, Yoruba)
Mbengué/bengué [mbɛ̃ɡe] / [bɛ̃ɡe] : Europe (bamiléké, Cameroun)
Mbongo /bongo [mbɔ̃ɡo] / [bɔ̃ɡo] : argent (lingala, Congo)
Tchop [tʃɔp] : manger (Nigeria, parler urbain)
Yaya [jaja]: mon gars (lingala, Congo)
Yomo [jomo] : teinture noire pour cheveux (Ghana)
2.2 Les langues occidentales
L’anglais et l’espagnol constituent essentiellement les sources d’emprunts du nouchi aux langues occidentales.
2.2.1 Les mots empruntés à l’anglais
La prononciation et la glose seront celle du nouchi et non celles de la langue source, c’est-à-dire l’anglais. Par moment, la prononciation et la glose peuvent coïncider avec celle de l’anglais.
Beat [bit]: cadence, affaire
Black [blak]: noir
Business [buznɛs]: affaire
Busy [buzi]: occupé
Buy [baj]: acheter
Call [kɔl]: appeler
Cool [kul]: sympathique, formidable
Deal [dil]: affaire douteuse, louche
Die [daij]: ivre
Disappear ou disapp [dizap] : fuir, partir
Down [daɔn]: k.o, couché, à terre
Eat [it]: manger
Enjoy enjailler [ãʒaje] : contenter, faire plaisir, s’amuser
Fly [flaj] : joli, beau
Free [fri] : joli, beau
Fuck [fɔk] : baiser
Go [ɡo] : partir, aller
Jumper [dʒĩpœ̃] : sauter
Last lass [las] : meilleur, le plus bas dans un marchandage
Love [lɔv] : flirt, idylle
Luck [lɔk] : chance
More [mɔr] : assez, beaucoup
New [niu] : nouveau
Number [nãbɛr] : numéro de téléphone
Piece [pis] : maison, chambre
Rice [rais] : riz
Rude boy [rud bɔj] : garçon impoli
Show [ʃo] : ambiance, fête
Style [stail] : mode
Wash [wɔʃ]: se laver, laver
Way [we] : affaire dont on tait expressément le nom, secret, femme
White, Whity [wait] / [waiti]: Blanc, Européen, personne ayant la peau blanche
Wicked [wiked]: méchant
2.2.2 Les mots empruntés à l’espagnol
La prononciation et la glose seront celle du nouchi et non celles de l’espagnol. Il peut arriver, par moment que la prononciation et la glose coïncident avec celle de l’espagnol, la langue source.
Casa [kaza] : maison
Coche [kotʃe] : voiture
Como [komo] : comment
Comprendo [kɔprãdo] : oreille
Padre [padre] : papa
Madre [madre] : maman
En guise de conclusion, nous pouvons retenir que du français, découlent plusieurs variétés dont la plus récente en Côte d’Ivoire est le nouchi. Construit en partie sur une base lexicale et syntaxique du français standard, le nouchi fait preuve de vitalité avec ces multiples emprunts aux langues africaines et occidentales.
De toute évidence, cette posture du nouchi-qui de plus en plus s’enracine dans les mœurs ivoiriennes-tend à le mettre en concurrence en zone urbaine avec le français standard, la langue officielle. Ainsi, ce parler, selon le point de vue dans lequel on s’inscrit, peut-être en de bons termes avec le français ou constituer un danger pour ce dernier. Car le nouchi pourrait, pour l’instant, servir de « langue identitaire » comme l’a pronostiqué Calvet (1997).
Face à la situation plurilinguistique de la Côte d’ivoire où aucune langue locale n’a pu être, en effet, émergée du fait de la politique linguistique de ce pays, le nouchi devrait être promu au rang de langue nationale. Ce parler permettra d’unir les Ivoiriens ou dans une moindre mesure les rendre tous unanimes sur le fait qu’il est l’une des manifestations du brassage intra-culturel de la Côte d’Ivoire. D’où la nécessité de le promouvoir. Chaque Ivoirien y trouverait son compte car il est le trait d’union entre les différents peuples ivoiriens de par son lexique hétérogène.
Le Dr Jean-Claude Dodo, sociolinguiste,
enseignant-chercheur,
Université Félix Houphouët-Boigny,
Abidjan-Côte d'Ivoire
[1] Gninnin: mot derivé de gnrin