Côte d’Ivoire : « Le nouchi, ce parler hétérogène et dynamique » (Dr Dodo, sociolinguiste)

Côte d’Ivoire : « Le nouchi, ce parler hétérogène et dynamique » (Dr Dodo, sociolinguiste)
Le Dr Jean-Claude Dodo.

Le nouchi a pour base le français et son lexique est composé d’un nombre important d’emprunts aux langues locales ivoiriennes et aux langues étrangères (africaines et occidentales). Ce qui rend ce parler fortement hybride. Les mots qui seront énumérés ci-dessous ne constituent pas la liste exhaustive des emprunts du nouchi à toutes ces langues. Ils interviennent juste à titre indicatif.

 

1. Les langues ivoiriennes

Le lexique du nouchi est densément constitué par les mots issus des langues ivoiriennes.

1.1 Les mots issus du dioula

De toutes  les langues ivoiriennes, le dioula  « fournit » plus de mots au nouchi. C’est sans doute dû au fait que bon nombre de ces locuteurs sont dioula (malinké).

Ata ka bori [atakabori] : prostituée, vol exécuté à la tire

Babougô [babugɔ] > [gbagbuɡu] / gbagbougou: frapper, bombarder

Bara [bara] : travail

Bakrôni [bakrɔni] : cabri

Bobara [bobara] : fesse

Bori [kurir] : courir

Bôrô [bɔrɔ] : sac

Djandjou [dʒãdʒu] : prostituée

Djandjouya [dʒãdʒuja] : prostitution

Djêguê/djêkê [dʒɛɡɛ] / [dʒɛkɛ] : laver, se laver, être propre

Dji [dʒi] : eau, (se dji) se laver mystiquement

Djinan mori [dʒinãmori]: prestidigitateur, magicien, magie

Fohi te [fojite] > [yafoji] Ya fohi : il n’y a rien

Fraya [fraya] : fuir

Froto [froto] : piment

Gnagami [ɲaɡami] : mélanger, déranger

Kabadji [kabadʒi]: eau de maïs, bière

Kouman [kumã] : dire

Kounglo [kũŋɡlo] : tête

Malo [malo] : riz

Mlouti [mluti] : fâché

Mousso [muso] : femme

Naloman [nalomã] : stupide

Nassidji [nasidʒi]: décoction mystique

Sôgô [sɔɡɔ] : couteau, couper

Soutra [sutra] : aider

Soutrali [sutrali] : aide

Tassouman [tasumã] : feu

Tchonou  [tʃonu] > [tʃũ] tchoun: dénoncer

Toubabou [tubabu] : Européen, Blanc

Trômi-trômi [trɔmitrɔmi] : se tordre

Wélé [wele] : appeler

Wolosso [woloso] : prostituée 

Yougouyaga [juɡujaɡa] : sécouer

 

1.2 Les mots issus du bété

Le nouchi emprunte également  des mots au bété qui la langue dominante dans l’espace linguistique Krou.

Abi : frère

Awouli [awuli] : mon ami

Bagnon [baɲɔ̃] : bel homme

Gnétè [ɲetɛ] : seins

Gnézédré [ɲezedre] : pitié

Gnoukouli [ɲukuli]: oreille

Gnrin [ɲrɪ̃] ou Gninrin [ɲĩrɪ̃] : vagin

Gninnin[1] [ɲĩrɪ̃] > [ɲĩnĩ] : saoul, ivre

Guédji [ɡedʒi] : drogue

Lalé [lale] : appeler, téléphone

Kôdré [kɔdre] : toujours

Poagnon [poaɲɔ̃] : orphelin

Soukou [suku] : école

Woody [wudi] : garçon

You [ju] : enfant en bété, les policiers en nouchi

 

1.3 Les mots issus du baoulé

Le nouchi emprunte beaucoup de mots au baoulé qui l’une des langues majeures de la Côte d’Ivoire.

Ahoko [aoko]: instrument de musique baoulé, masturbation en nouchi

Blêblê [blɛblɛ]: doucement

Blô [blɔ] : faire le malin

Blôfouê [blɔfuɛ] : blanc

Djêtê [dʒɛtɛ] : argent

Likefi  [likefi] : rien

Nanwlê [nãwlɛ] : vérité

1.4 Les mots issus des autres langues ivoiriennes

Les autres langues ivoiriennes « fournissent » également quelques mots au nouchi.

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Cobo [kobo] : vieux en wobé devient père en nouchi

Bahi [baji] : habit en guéré mais malchance en nouchi

Gbêlê [ɡbɛlɛ] : boisson (sénoufo)

Pongué-pongué [pɔɡepɔɡe] : rien (toura)

2. Les langues étrangères

Les langues africaines et occidentales enrichissent également le lexique du nouchi.

 

2.1 Les langues africaines

Certaines langues africaines enrichissent le nouchi. Pour la plupart, ce sont le lingala, le bamiléké, certaines langues ghanéennes (ashanti, fanti, twi), argot nigérian et autres.

Azonto : dance urbaine, être à la mode en nouchi (Ghana, parler urbain)

Bouka [buka] : casser (lingala, Congo)

Chap-chap [ʃapʃap] : vite, rapidement (Nigeria, parler urbain)

Gba [ɡba] : marchandise, affaire (Nigéria, Yoruba)

Mbengué/bengué [mbɛ̃ɡe] / [bɛ̃ɡe] : Europe (bamiléké, Cameroun)

Mbongo /bongo [mbɔ̃ɡo] / [bɔ̃ɡo] : argent (lingala, Congo)

Tchop [tʃɔp] : manger (Nigeria, parler urbain)

Yaya [jaja]: mon gars (lingala, Congo)

Yomo [jomo] : teinture noire pour cheveux (Ghana)

2.2 Les langues occidentales

L’anglais et l’espagnol constituent essentiellement les sources d’emprunts du nouchi aux langues occidentales.

2.2.1 Les mots empruntés à l’anglais

La prononciation et la glose seront celle du nouchi et non celles de la langue source, c’est-à-dire l’anglais. Par moment, la prononciation et la glose peuvent coïncider avec celle de l’anglais.

Beat [bit]: cadence, affaire

Black [blak]: noir

Business [buznɛs]: affaire

Busy [buzi]: occupé

Buy [baj]: acheter

Call [kɔl]: appeler

Cool [kul]: sympathique, formidable

Deal [dil]: affaire douteuse, louche

Die [daij]: ivre

Disappear ou disapp [dizap] : fuir, partir

Down [daɔn]: k.o, couché, à terre

Eat [it]: manger

Enjoy             enjailler [ãʒaje] : contenter, faire plaisir, s’amuser

Fly [flaj] : joli, beau

Free [fri] : joli, beau

Fuck [fɔk] : baiser

Go [ɡo] : partir, aller

Jumper [dʒĩpœ̃] : sauter

Last            lass [las] : meilleur, le plus bas dans un marchandage

Love [lɔv] : flirt, idylle

Luck [lɔk] : chance

More [mɔr] : assez, beaucoup

New [niu] : nouveau

Number [nãbɛr] : numéro de téléphone

Piece [pis] : maison, chambre

Rice [rais] : riz

Rude boy [rud bɔj] : garçon impoli

Show [ʃo] : ambiance, fête

Style [stail] : mode

Wash [wɔʃ]: se laver, laver

Way [we] : affaire dont on tait expressément le nom, secret, femme 

White, Whity [wait] / [waiti]: Blanc, Européen, personne ayant la peau blanche

Wicked [wiked]: méchant

 

2.2.2 Les mots empruntés à l’espagnol

La prononciation et la glose seront celle du nouchi et non celles de l’espagnol. Il peut arriver, par moment que la prononciation et la glose coïncident avec celle de l’espagnol, la langue source.

Casa [kaza] : maison

Coche [kotʃe] : voiture

Como [komo] : comment

Comprendo [kɔprãdo] : oreille

Padre [padre] : papa

Madre [madre] : maman

 

En guise de conclusion, nous pouvons retenir que du français, découlent plusieurs variétés dont la plus récente en Côte d’Ivoire est le nouchi. Construit en partie sur une base lexicale et syntaxique du français standard, le nouchi fait preuve de vitalité avec ces multiples emprunts aux langues africaines et occidentales.

De toute évidence, cette posture du nouchi-qui de plus en plus s’enracine dans les mœurs ivoiriennes-tend à le mettre en concurrence en zone urbaine avec le français standard, la langue officielle. Ainsi, ce parler, selon le point de vue dans lequel on s’inscrit, peut-être en de bons termes avec le français ou constituer un  danger  pour ce dernier. Car le nouchi pourrait, pour l’instant, servir de « langue identitaire » comme l’a pronostiqué Calvet (1997).

Face à la situation plurilinguistique de la Côte d’ivoire où aucune langue locale n’a pu être, en effet, émergée du fait de la politique linguistique de ce pays, le nouchi devrait être promu au rang de langue nationale. Ce parler permettra d’unir les Ivoiriens ou dans une moindre mesure les rendre tous unanimes sur le fait qu’il est l’une des manifestations du brassage intra-culturel de la Côte d’Ivoire. D’où la nécessité de le promouvoir. Chaque Ivoirien y trouverait son compte car il est le trait d’union entre les différents peuples ivoiriens de par son lexique hétérogène.

Le Dr Jean-Claude Dodo, sociolinguiste,

enseignant-chercheur,

Université Félix Houphouët-Boigny,

Abidjan-Côte d'Ivoire 

[1] Gninnin: mot derivé de gnrin