Côte d’Ivoire : Cissé, l’atout-jeune de Ouattara
Nommé fin mars au secrétariat général de la présidence où il a succédé à Patrick Achi, Abdourahmane Cissé occupe un poste stratégique qui le place au cœur du pouvoir ivoirien.
Il est sans doute celui qui incarne le plus le souhait de « renouvellement générationnel » affiché par Alassane Ouattara. Bombardé fin mars secrétaire général de la présidence à seulement 39 ans, Abdourahmane Cissé est désormais un personnage incontournable au sein du pouvoir ivoirien. Une nouvelle marche franchie pour celui qui, en 2013 déjà, avait attiré les projecteurs en devenant le plus jeune ministre du gouvernement, en charge du Budget et du portefeuille de l’État (il avait à l’époque 32 ans).
Son âge a-t-il été un atout par rapport à d’autres prétendants ? Probablement. « Le président s’est toujours entouré de jeunes dans sa carrière. Il leur fait confiance et les fait monter à ses côtés. Amadou Gon Coulibaly a, par exemple, commencé à travailler avec lui à la primature alors qu’il avait à peine 30 ans, assure un intime de Ouattara. Quand il repère un jeune compétent, il le met plus vite en orbite. » Dans l’entourage de l’intéressé, père de jumeaux depuis peu, l’évocation de sa précocité et d’une éventuelle « prime aux jeunes » dans le dernier remaniement font sourire. « Être jeune ne suffit pas, affirme l’un de ses collaborateurs. Quand il fait ses choix, le président se base d’abord sur les compétences et non sur des dates de naissance. » Avec son profil de premier de la classe, voilà longtemps que ce longiligne technocrate au sourire facile est rentré dans les radars du chef de l’État.
Pur produit de l’école publique
Né à Treichville, d’un père entrepreneur en bâtiment et d’une mère femme au foyer, Abdourahmane Cissé est souvent présenté comme l’un des cadres les plus brillants de sa génération par les responsables de la majorité présidentielle. Ce « pur produit de l’école publique ivoirienne », ainsi que se plaît à le décrire son entourage, a grandi à Port-Bouët et a passé son baccalauréat à Grand-Bassam. À 18 ans, il s’envole pour la France pour ses études supérieures. Son cursus est un sans-faute. En 2001, il intègre la prestigieuse École polytechnique, près de Paris, dont il ressort diplômé en 2004. En parallèle, il décroche un master en économie et gestion des ressources pétrolières à l’Institut français du pétrole (IFP).
Attiré par le milieu de la finance, le jeune polytechnicien ivoirien met le cap sur Londres et intègre la banque d’affaires Goldman Sachs International en 2005. Il y monte les échelons et est nommé directeur exécutif, responsable du trading sur les indices de la zone euro. Dans la capitale anglaise, sa vie est semblable à celle de nombre de traders : beaucoup de travail et un salaire très confortable. Ce fan inconditionnel de football – qui continue à jouer toutes les semaines avec son équipe à Abidjan – en profite pour aller, dès qu’il le peut, voir un match de Chelsea, son club de cœur, à Stamford Bridge. Sur la pelouse, un autre Ivoirien avec lequel il fera connaissance plus tard : Didier Drogba.
Malgré la distance, Cissé continue à garder un œil attentif sur la situation en Côte d’Ivoire, où il se rend régulièrement. Après la crise postélectorale de 2010-2011 et l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, il fait la rencontre de Téné Birahima Ouattara, l’influent frère cadet du nouveau président – et aujourd’hui ministre de la Défense. À « Photocopie », il dit l’admiration qu’il voue au chef de l’État et sa volonté de participer à la reconstruction du pays. Il lui glisse également son CV. Quelques semaines plus tard, il est reçu par Amadou Gon Coulibaly, alors secrétaire général de la présidence. Son profil séduit Ouattara et son premier cercle. En août 2011, Cissé démissionne de Goldman Sachs pour intégrer, en juillet 2012, l’équipe présidentielle en tant que conseiller aux finances publiques. Il est alors, avec d’autres, l’un des symboles de ces cadres de la diaspora qui reviennent s’installer en Côte d’Ivoire après la crise.
« Quand le président a été élu, il s’est dit que c’était le moment de rentrer pour contribuer à l’effort national. Leur première rencontre a été très naturelle. Il a tout de suite senti qu’ils étaient sur la même longueur d’onde », affirme un intime de Cissé. Les deux banquiers libéraux parlent la même langue, partagent les mêmes codes. L’ancien directeur Afrique du Fmi prend l’ex-trader de Goldamn Sachs sous son aile. En 2013, il le nomme ministre du Budget et du portefeuille de l’État. Après un nouveau passage au palais, en tant que conseiller spécial d’Alassane Ouattara pour les affaires économiques et financières, il est nommé ministre du Pétrole, de l’Énergie et des Énergies renouvelables, fin 2018. Puis, en mars 2021, après la réélection de son patron pour un troisième mandat, Cissé devient secrétaire général de la présidence. Cette fois, plus de doute : celui qui n’est pas encore quadragénaire est bien l’un des principaux lieutenants de Ouattara.
Au cœur de l'appareil exécutif
Depuis son arrivée au pouvoir, le chef de l’État a toujours placé à ce poste stratégique une personne en qui il avait une absolue confiance. Courroie de transmission entre la présidence et le gouvernement, le « SG » est au cœur de l’appareil exécutif. Une sorte de numéro trois, après le président de la République et le Premier ministre. « C’est une grande responsabilité et une grande marque de confiance à son égard. Il arrive après deux illustres prédécesseurs, Amadou Gon Coulibaly et Patrick Achi.
Il est conscient qu’il va devoir maintenir la qualité de travail et le rendement qu’ils avaient », poursuit l’un de ses collaborateurs. Comme ses aînés, qui ont tous deux fini Premiers ministres après leur passage au secrétariat général de la présidence, l’homme a notamment été choisi pour son expertise sur les questions économiques et financières, le domaine favori du chef de l’État.
Désormais, Abdourahmane Cissé est en contact quasi permanent avec Alassane Ouattara et Patrick Achi. Il a des séances de travail hebdomadaires avec eux, en particulier avant chaque Conseil des ministres. Le Premier ministre, lui, est une vieille relation de travail. Tous les deux membres de différents gouvernements dans les années 2010, ils ont approfondi leurs relations lors de leur passage commun à la présidence, quand Patrick Achi était secrétaire général et lui conseiller spécial.
Contrairement au chef du gouvernement et à plusieurs ministres, « Abdou », comme le surnomme ses proches, n’a pas été candidat aux législatives du 6 mars dernier. Certains de ses adversaires affirment qu’il a tenté de briguer la candidature du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) dans son fief de Port-Bouët, mais sans succès. Son entourage assure qu’il n’en est rien.
« Il fait de la politique, car il est engagé aux côtés du président pour lequel il a battu campagne en 2015 et 2020, mais il n’a jamais été candidat et il n’a jamais brigué de mandat », explique l’un de ses soutiens. Se présentera-t-il un jour devant les électeurs ? S’il veut continuer à assurer les plus hautes fonctions de l’État, il lui sera difficile de se passer de l’onction populaire.
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