Côte d’Ivoire : « Découvrons les 4 variétés de français » (Dr Dodo, sociolinguiste)
« La situation du français, langue officielle en Côte d’Ivoire, ne peut être comprise qu’au sein de la situation plurilingue générale du pays : plus de soixante ethnies y sont décomptées, réparties en quatre grands groupes culturels et linguistiques ayant chacun une langue dominante : groupes Mandé (dioula), Gur (sénoufo), Kru (bété) et Kwa (baoulé). Malgré l’usage important des langues locales, aucune n’a encore reçu le titre de langue nationale. », Boutin Beatrice A.[1]
Instauré en 1893 au moment de la colonisation française en Côte d’Ivoire et langue officielle de ce pays depuis 1960, date de la proclamation de l’Indépendance, le français (de la métropole) connaît diverses changements et variations. Car, il est pratiqué par la majorité de la population sous des formes diverses. En Côte d’Ivoire, il y a, d’une part, le français standard parlé par l’élite, les universitaires, les lettrés et de l’autre, le français populaire ivoirien et/ou le nouchi parlés par les peu lettrés, les déscolarisés et les illettrés.
Cependant, le français populaire et le nouchi sont utilisés par intermittence par les usagers du français standard. De ces différentes variations du français découle un continuum linguistique. Ce constat est également fait par Aboa Abia (2008 :9) qui affirme « L’usage de la langue française en Côte d’Ivoire s’est, au fil du temps, particularisé et différencié, au point qu’il est difficile, aujourd’hui, d’établir une définition exacte de ces différentes variétés de français.»
De l’imbrication de ces différentes variétés va naitre progressivement un français « typiquement » ivoirien. Ce français, norme endogène pour certains et français, langue ivoirienne (Fli) pour d’autres, est la jonction de toutes les variétés (de français) qui émergent du fait de la pratique linguistique des locuteurs ivoiriens.
Cependant, l’apparition de cette variété n’est pas fortuite car comme le fait remarquer Aboa Abia (2008 :1) : « Dans les milieux où, généralement, aucune langue locale ne sert d’outil de communication interethnique (principalement dans les zones urbaines) la langue française a même acquis le statut de langue véhiculaire. C’est le cas de la Côte d’Ivoire où dans la communication courante, le français s’est développé et particularisé.»
Par ailleurs, contrairement à la Côte d’Ivoire dans les autres pays d’Afrique francophone le français ne connait pas une situation analogue du fait de l’émergence de certaines langues locales (le bambara au Mali, le wolof au Sénégal, le moré au Burkina, le soso en Guinée, le lingala dans les 2 Congo, le haoussa au Niger, l’arabe dialectal en Mauritanie, en Tunisie, au Maroc et en Algérie, etc.). De plus, ces langues, pour la plupart d’entre elles, ont été promues au rang de langue officielle ou de langue nationale.
Le français ivoirien, véritable expression de l’identité culturelle tire son essence des zones urbaines notamment Abidjan et ses banlieues. Cette variété de français est largement répandue au sein des populations. Elle est fortement influencée par les langues locales (calques, interférences et emprunts). La vulgarisation de ce parler qui a une réputation transfrontalière s’est effectuée par le biais des médias audio-visuels et presse écrites et aussi des artistes chanteurs (reggae, rap, zouglou, coupé-décalé).
Les écrivains ne sont pas en reste. Ils ont eux aussi contribué à rendre populaire ce parler. Les pionniers sont Ahmadou Kourouma, Jean-Marie Adiaffi, Amadou Koné, Venance Konan, Isaie Biton Coulibaly et autres.
Quelques caractéristiques des 4 variétés de français en Côte d'Ivoire :
1. Le français standard (langue officielle)
C’est le français normé avec ses différents registres (soutenu, littéraire ou encore châtié, courant, familier ou populaire).
a- Registre soutenu, littéraire ou châtié
Une dame, un monsieur
Je suis éreinté
b- Registre courant
Une femme, un homme
Je suis épuisé, échiné
c- Registre familier
Une nana / une gonzesse, un mec / un gars
Je suis crevé, flapi
2. Le Français Populaire Ivoirien (FPI) ou français Populaire d'Abidjan (FPA) ou encore
le français de Moussa
Ce français est l’apanage des peu ou pas lettrés. C’est un français baragouiné.
tantie, missié
yé si fatigué, moi fatigué beaucoup
3. Le nouchi
À l'origine langues des délinquants et des jeunes déscolarisés) c'est un mélange de français, de langues ivoiriennes (bété, baoulé, malinké, guéré, sénoufo…), africaines (pidgin nigérian, yorouba, ibo, pidgin ghanéen, wolof, lingala...) et occidentales (anglais, allemand, espagnol...).
Vieille mère, vieux père
Yé si gbôlô, Je suis fa, Je suis faouzi gamal
4. Le français ivoirien
Cette variété est l'imbrication des trois autres variétés. Les frontières sont poreuses entre toutes ces variétés. C’est un français qui utilise la structure des langues ivoiriennes.
J’ai pris gbaka hier ‘’Hier, j’ai emprunté un minicar.’’
Tu aimes trop kpakpatoya. ‘’Tu aimes les commerages’’
Pour finir, il ne faut pas déprécier les variétés locales du français citées ci-dessus. Elles font partie du patrimoine culturel ivoirien. Mieux, il faut plutôt les prendre comme un allié dans l'enseignement/apprentissage du français standard.
Dr Jean-Claude Dodo, sociolinguiste,
enseignant-chercheur
[1] BOUTINB.A. 2003 :« Des attitudes envers le français en Côte d'Ivoire »