Côte d’Ivoire : ce fruit riche peine à intégrer le quotidien des populations…

Côte d’Ivoire : ce fruit riche peine à intégrer le quotidien des populations…
La pomme de cajou, excellent fruit pour la santé humaine. (ph: de)

La pomme de cajou, pédoncule charnu, mou en forme de poire comestible, issu de l’anacardier, dispose d’énormes potentialités économiques et nutritionnelles qui ont du mal à s’imposer dans le quotidien des populations de Bondoukou (Nord-est, région du Gontougo).

Si la noix de cajou, graine accrochée à la pomme, est connue de la population du fait de ses vertus thérapeutiques, ses production et commercialisation bien structurées par l’État de Côte d’Ivoire, la pomme de cajou, de couleur jaune ou rouge quand elle est mûre, demeure, par contre, un fruit dont les potentialités sont assez méconnues des habitants de Bondoukou pour diverses raisons.

Les raisons de sa méconnaissance

Des experts de la transformation et la commercialisation de la pomme de cajou ont été tous unanimes sur le fait que les populations, notamment les producteurs de la noix de cajou ignorent simplement les potentialités qu’il renferme ; ce qui les amène à laisser pourrir ce précieux fruit dans les vastes plantations d’anacardiers de la région.

Selon Ouattara Kouadio Ali, gérant de l’Unité de transformation et de commercialisation de la pomme de cajou à Kanguélé, à 10 km de Bondoukou, dénommée « Savan’or », l’État de Côte d’Ivoire ne fait pas assez d’effort pour promouvoir la pomme de cajou surtout en zone rurale où les paysans sont focalisés sur la commercialisation de la noix de cajou.

Pour lui, les populations ne veulent pas approfondir leur connaissance sur ce fruit, car elles sont encore figées sur des stéréotypes qui font croire que la consommation du jus de pomme de l’anacarde avec le lait entraine une mort subite.

« Malgré les nombreuses campagnes de sensibilisation prouvant que la consommation de ces deux produits ne fait rien au corps humain, mes parents ne veulent rien savoir et ont toujours peur », fait-il savoir avec beaucoup de déception.

« L’analphabétisme de nos parents peut aussi expliquer l’ignorance des potentialités de la pomme de cajou », indique Kra Marina, responsable de l’Unité de transformation de la pomme en liqueur (Eau de vie) dénommée « Cristal de Nafambeni », situé dans la localité de Nafambeni, à 25 km de Bondoukou.

« Vous allez beau expliquer les vertus de la pomme de cajou à nos producteurs, ils ne vont pas vous suivre immédiatement, car cela demande beaucoup de temps et de patience », affirme-t-elle, invitant l’État de Côte d’Ivoire à les aider à briser certaines barrières pour que ce fruit soit enfin accepté par tous.

Pour la « sœur Claudine », responsable de l’Unité de transformation « La maison des fruits », les raisons sont plutôt économiques. Ayant échangé avec certains producteurs, il en ressort que ceux-ci se plaignent qu’aucune structure de la place ne vienne enlever la pomme de cajou des plantations en échange d’une somme d’argent.

« Nous ne pouvons pas rassembler gratuitement les pommes d’anacarde dans nos champs et les donner aux gens sans rien recevoir », clament-ils à juste titre.

Autre raison évoquée par les producteurs, selon l’experte, c’est la conservation de la pomme qui est un fruit très fragile nécessitant d’énormes moyens pour la conserver et la transporter dans les usines de transformation.

« Qui va payer tous ces efforts que nous allons faire », s’interrogent souvent les paysans, préférant continuer de s’occuper des noix de cajou dont la commercialisation est bien encadrée.

Le jus de la pomme de cajou bien que rempli de vertus est souvent rejeté par certains consommateurs à cause de son goût un peu aigre et son coût qu'ils jugent élevé. « Moi, je ne supporte pas le goût du jus de pomme, alors je ne vois pas pourquoi je vais payer une bouteille qui coûte cher pour la consommer », lance Djédjé Christ, élève.

Cette remarque est partagée par Kouamé Kobenan, paysan, qui préfère encore s’acheter une bouteille de bière ou de « boissons frelatées » « au lieu de gaspiller son argent dans la consommation du jus de pomme d’anacarde ».

Assertion que récusent les experts en transformation qui présentent une variété de produits dérivés de la pomme de cajou souvent agréables au goûter.

Un fruit aux énormes vertus nutritionnelles

Une visite à « la maison des fruits » dirigée par la « sœur Claudine » a permis de voir les différents produits dérivés de la pomme de cajou, notamment le jus, le sirop et surtout la confiture (confis d’anacarde) qu’elle recommande aux responsables des cantines scolaires afin que ce produit figure dans l’alimentation des élèves.

La « servante de Dieu » va plus loin en affirmant que « la pomme peut remplacer les aubergines dans la sauce au cas où l’on constate une pénurie sur le marché. Ce que les femmes ont du mal à accepter », déplore-t-elle.

Selon des spécialistes de la nutrition, la pomme de cajou contient les vitamines A et C, du magnésium, et du potassium. Elle contribue à accroître l’énergie, aide dans la lutte contre les infections et combat le cholestérol. Le jus améliore également la vue, lutte contre l’hypertension et aide le cerveau à absorber l’oxygène.

Outre ces vertus, il faut reconnaître que les Unités de transformation de la pomme de cajou arrivent à presser une quantité suffisante du produit qu’elles mettent à la disposition de la clientèle. Ainsi, la responsable de « Cristal de Nafambeni » avoue qu’elle obtient une quinzaine de litres d’alcool par jour malgré les méthodes archaïques utilisées. Plusieurs bouteilles de 33 cl contenant de la liqueur sont prêtes à être livrées sur commande ou pendant les différents Salons.

Elle se souvient encore de sa participation à la dernière édition du Salon international des équipements et des technologies de transformation de l’anacarde (Sietta) où son produit a été apprécié par les clients qui ont acheté tout son stock.

Pour le gérant de « Savan’ or », Ouattara Kouadio Ali qui travaille d’ailleurs avec la coopérative Dakinago, ce sont 480 bouteilles de 25 cl qui sont produites chaque jour grâce à plus de 150 femmes issues de la coopérative et vendues dans les rayons des grandes surfaces à Abidjan.

Des actions fortes pour booster l’activité commerciale

Si l’activité commerciale de la pomme de cajou est encore à l’état embryonnaire, elle nécessite néanmoins un coup de pouce notable de la part de l’État et des partenaires privés pour se faire connaître du grand public afin de s’imposer comme un produit essentiel pour les populations de Bondoukou, à l’image de la noix de cajou.

C’est cette démarche qu’a entreprise l’Institut national polytechnique Félix Houphouët-Boigny (InpHB) en sensibilisant en juillet 2020 la population de Kanguélé notamment, les coopératives des femmes sur la consommation non nocive de la pomme de cajou avec le lait.

Cette campagne, financée par le Fonds compétitif de l’innovation agricole durable (Fciad) s’inscrivait dans le cadre du projet de valorisation de la pomme de cajou en bioproduit en synergie avec le milieu rural et vise à faire la promotion des produits dérivés de ce fruit.

Une autre caravane pour la promotion de la pomme de cajou en vue de l’amélioration des revenus des paysans s’est tenue en février 2019 à Nassian, dans la région du Bounkani, grâce à la coopération allemande GIZ et l’Office ivoirien des parcs et réserves (Oipr).

Il s’agissait d’expliquer à la population que la transformation de la pomme de cajou peut apporter assez de revenus aux paysans grâce à ses nombreux produits dérivés, notamment le jus, la liqueur, des confitures, des boulettes de viande et autres.

« La maison des fruits » a décidé avec l’appui d’une compagnie de vente de jus de fruit d’acheter les pommes de cajou dans les mains des paysans au prix de 20 Fcfa le kilo.

« C’est mieux que jeter la pomme à la poubelle » a reconnu la « sœur Claudine » avec un léger sourire. Elle a fait savoir qu’une énorme quantité vendue pourrait être bénéfique pour les producteurs qui ont souvent du mal à écouler la noix de cajou sur le marché.

Pour le gérant de « Savan’or », l’Etat de Côte d’ivoire doit financer les unités de transformation pour renforcer leur production et construire d’autres usines d’envergure capables d’absorber toute la production eu égard à la place de leader qu’occupe le pays en matière de production de la noix de cajou.

Introduit dans le Nord de la Côte d'Ivoire à la fin des années 1950 pour la reforestation et la protection des sols, l'anacardier a progressivement pris de l'importance pour ses noix commercialisables devenant incontournable dans le développement de la région.

Reportage Aip